Oskar Serti quitta ses camarades de tranchées pour l’hôpital militaire avec le sentiment douloureux de les laisser dans ce qu’il appelait les fentes honteuses du monde.
Dès son admission, une infirmière voulut lui laver les pieds. Une telle couche de crasse s’était accumulée entre ses orteils qu’elle faisait presque partie de son organisme. Malgré les protestations de Serti, l’infirmière mit directement sa menace à exécution et lui plongea les pieds dans une bassine d’eau chaude. Une odeur d’argile venant droit des tranchées se répandit aussitôt dans la chambre ; comme lorsqu’après le passage d’un violent orage sur une ville asséchée, des effluves chargés des profondeurs de la terre surgissent entre les pavés.
L’infirmière récura énergiquement l’interstice entre chaque orteil en félicitant Oskar de sa dignité retrouvée.
Mais au moment où elle quitta la pièce, Serti lui fit un habile croc-en-jambe et le contenu de la bassine se répandit sur le plancher. Depuis lors, chaque fois qu’on lavait sa chambre, Serti sentait naître un relent de honte entre les lames du parquet.