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Le 5 décembre 1905, Oskar Serti retrouva enfin l'immeuble où vivait retiré celui qu'il avait toujours considéré comme son maître en littérature : Dorian Erent (Brighton, 1824 - Edimbourg, 1906).
Serti passa trois jours devant son immeuble sans jamais oser sonner à la porte ; car malgré la profonde désaffection du public dont était déjà victime Erent à cette époque, Oskar Serti persistait à le placer si haut dans son estime qu'une irrépressible humilité l'empêchait de se présenter à lui.
Il resta ainsi près de quinze jours, posté sur le trottoir, à épier ses moindres faits et gestes dans l'espoir d'en savoir un peu plus sur les mécanismes de création d'un homme dont il avait tout à apprendre.
Chaque soir, grâce aux lumières qui s'allumaient ou s'éteignaient dans les différentes pièces de l'appartement, Serti, qui suivait l'ombre portée de Dorian Erent au plafond, parvenait à déterminer le temps qu'il passait à écrire dans son bureau ou à chercher l'inspiration en passant de la cuisine au salon.
Le 18 décembre , les lumières s'emballèrent soudain si frénétiquement dans toutes les pièces de l'appartement, que Serti fut persuadé d'assister à la naissance d'un chef d'oeuvre qui allait enfin réconcilier Erent avec ses lecteurs.

Le 5 décembre 1905, à travers la fenêtre de son bureau, Dorian Erent aperçut au pied de son immeuble un inconnu regardant discrètement dans sa direction.
Depuis quinze ans de vie monastique dans son appartement, c'était la première fois que quelqu'un lui témoignait le moindre intérêt ; et cette situation lui rappela cruellement le temps révolu où des admirateurs s'agglutinaient en grappe sous ses fenêtres.
Pour les yeux d'un inconnu qui le regardait peut-être par hasard, Dorian Erent voulu revivre cette glorieuse époque. Alors qu'il n'avait plus touché une plume depuis des années, il s'installa à sa table de travail et, des heures durant, fit semblant d'écrire.
Petit à petit, il retrouva — sans malheureusement parvenir à les exploiter — ses rythmes de création ; il reprit ses savants passages d'une pièce à l'autre qui stimulaient autrefois son esprit. Comme jadis quand il recherchait l'inspiration, il ponctua chacune de ses allées et venues entre la cuisine et le bureau, par un éclairage minutieusement calculé.
Le 18 décembre 1905, même s'il ne parvint à inscrire que la date du jour, Erent connut enfin la joie profonde d'écrire à nouveau une ligne en haut d'une page. Il songea alors aussitôt à la présence extérieure de son inséparable inconnu, et, envahi par la peur soudaine que celui-ci n'usurpe son procédé d'écriture, imagina de le mystifier en éclairant anarchiquement les différentes pièces de l'appartement qui l'avaient aidé à retrouver le chemin de sa pensée littéraire.