journalOskar29a

À Vienne

Au beau milieu de la Rathausplatz, après avoir quitté son appartement pour aller au chevet de son père, Oskar Serti interrompt brutalement sa course, paralysé par l’idée d’avoir peut-être oublié d’éteindre le gaz sous le plat que Catherine de Sélys lui avait demandé de faire mijoter…
Alors qu’il traverse la Rathausplatz, Oskar Serti s’immobilise soudain, ne sachant pas s’il est plus important d’aller vérifier si le gaz est bien éteint sous le plat de Catherine, ou s’il doit se précipiter au chevet de son père…
Après quelques pas sur la Teinfalstraße, Oskar Serti s’arrête brusquement pour mieux tendre l’oreille. Il lui semble en effet avoir entendu un camion de pompier s’arrêter au pied de son immeuble qu’il vient de quitter. Serti est hanté par l’idée que, trop pressé de se rendre au chevet de son père, il a peut-être oublié d’éteindre le gaz…
Alors qu’il marche dans la Bognergasse pour se rendre au chevet de son père, Oskar Serti arrête soudain sa marche, figé par l’idée qu’il a peut-être oublié d’éteindre le gaz sous le plat que Catherine de Sélys lui avait demandé de cuire, et que l’eau a certainement débordé du plat, éteignant la flamme, et laissant s’échapper le gaz dans l’appartement où peut-être Catherine vient justement de rentrer et de tourner le bouton de l’interrupteur…

 
journalOskar29b

Au beau milieu de la Wipplingerstraße, alors qu’il vient de quitter son père pour se rendre à sa maison d’édition, Oskar Serti regrette amèrement de lui avoir dit en partant : « A bientôt, si Dieu le veut » ; et se demande s’il ne doit pas revenir sur ses pas pour s’en excuser…
Au moment où il veut traverser la Marc-Aurelstraße pour rejoindre sa maison d’édition, Oskar Serti, qui vient de quitter le domicile de son père en lui disant : « A bientôt, si Dieu le veut », se souvient subitement de la tragique éviction de celui-ci lorsqu’à vingt ans, il avait voulu entrer au séminaire de Budapest. Serti s’arrête au beau milieu de la rue, craignant d’avoir, par maladresse, plongé son père dans une profonde crise de mysticisme…
… En route pour sa maison d’édition, Oskar Serti, qui vient à peine de quitter son père, a toujours en tête les mots malheureux qu’il a employés pour lui dire au revoir. Paralysé par le remords sur un trottoir du Franz-Josefs-Kai, il pense à une formule d’excuse qui lui rendrait l’espoir de lui dire à nouveau bonjour…
Alors qu’il passe devant l’église Saint-Rupert pour se rendre chez son éditeur, Oskar Serti s’arrête brutalement, croyant avoir vu sur le parvis quelqu’un dont la ressemblance avec son père est saisissante…

 
journalOskar29c

Au moment même où il quitte son éditeur pour rejoindre ses amis au Cabaret Fledermaus, Serti s’arrête au début de la Backerstraße, pris d’un fou rire intérieur provoqué par le simple fait de repenser au défaut de prononciation de son éditeur qui venait de lui dire « Bonchoir Monchieur Cherti »…
Oskar Serti fait route vers le Cabaret Fledermaus, réjoui par l’idée de pouvoir annoncer à ses amis que son premier roman va bientôt être édité. Au beau milieu de la Kumpfgasse, il s’arrête soudain, essayant de se souvenir si son éditeur lui a réellement dit « Bonchoir Monchieur Cherti » ou alors « Bonsoir Monsieur Cherti »…
Se réjouissant de retrouver ses amis au Cabaret Fledermaus, Serti emprunte la Singerstaße. Tout à coup, il s’arrête, figé par le sentiment tenace que son éditeur lui a bien dit « Bonsoir Monsieur Cherti », alors que son véritable nom n’apparaît à aucun endroit dans le manuscrit qu’il vient de lui remettre…
Oskar Serti emprunte la Kärtnerstraße, impatient de retrouver ses amis au Cabaret Fledermaus ; non pas pour leur annoncer la parution prochaine de son premier roman, mais bien, hanté par l’idée de voir « Cherti » imprimé sur une couverture, pour leur demander si son éditeur a bel et bien un défaut de prononciation…

 
journalOskar29d

Alors qu’il s’engage dans la Mahlerstaße, pour rejoindre au théâtre son amie Catherine de Sélys, Oskar Serti s’arrête soudain en repensant à Véronique Coulanges, cette jeune actrice qu’il vient de rencontrer pour la première fois au Cabaret Fledermaus, et qui était assise juste en face de lui…
Au beau milieu de la Schwarzenbergstraße, alors qu’il presse le pas pour retrouver Catherine de Sélys, Oskar Serti s’arrête brusquement, profondément troublé par le fait que Véronique Coulanges, qu’il venait de rencontrer pour la première fois au Cabaret Fledermaus, avait posé les lèvres, sans doute par inadvertance, sur le verre de vin qui était devant lui…
Bien qu’il soit déjà en retard pour son rendez-vous avec son amie Catherine de Sélys, Oskar Serti s’arrête tout d’un coup sur le trottoir de la Pestalozzigasse, paralysé par l’idée que la jeune Française qu’il venait de rencontrer au Cabaret Fledermaus lui avait peut-être lancé un message en portant son verre à ses lèvres, et qu’il n’avait rien compris sur le moment…
Alors qu’il traverse la Lothringerstaße, et qu’il aperçoit au loin son amie Catherine de Sélys l’attendant, Oskar Serti s’arrête brusquement, réalisant soudain que, troublé par la présence de la jeune Véronique Coulanges qu’il vient de rencontrer au Cabaret Fledermaus, il n’a jamais commandé de verre de vin…

 
journalOskar29e

Alors qu’il marche dans la Münzgasse, Oskar Serti interrompt brutalement son pas, car il croit entendre au loin un air populaire hongrois qu’il n’a plus entendu depuis sa plus tendre enfance… Alors qu’il se retrouve dans la Invalidenstraße, Oskar Serti entend avec la même insistance cet air populaire hongrois qui le poursuit depuis la Münzgasse. Comme cet air ne semble ni croître, ni décroître d’intensité au fur et à mesure de sa promenade, il se demande si cet air vient de l’extérieur, ou bien s’il résonne uniquement à l’intérieur de sa tête…
Alors qu’il se promène dans la Henslerstraße, Oskar Serti entend toujours cet air populaire hongrois qui ne le lache plus, et ne sait toujours pas si cet air vient d’un puissant transistor perdu dans la ville ou s’il n’est que pure production de son esprit. C’est alors qu’il croise quelqu’un qui semble fredonner une chanson…
Tout d’un coup, au beau milieu de la Falkestraße, Oskar Serti n’entend plus cet air populaire hongrois dont il ne sait toujours pas s’il vient de l’extérieur ou de l’intérieur. Cette brutale absence crée un tel vide en lui, qu’il en oublie les bruits de la ville et se demande s’il ne vient pas de devenir sourd…

 
journalOskar29f

Alors qu’il traverse la Johannesgasse, Oskar Serti voit soudain une voiture fonçant vers lui à toute allure…
Au beau milieu de la Johannesgasse, alors qu’il voit dangereusement s’approcher de lui une voiture roulant à toute vitesse et qu’il ne sait pas s’il pourra échapper au drame, Oskar Serti pense immédiatement à la façon dont il va bien pouvoir raconter cet incident à son amie Catherine de Sélys…
Alors que la voiture qu’il voit foncer sur lui l’évite de toute justesse, Oskar Serti est presque déçu de la tournure des événements ; car l’incident qu’il comptait raconter à son amie Catherine de Sélys vient de perdre toute son intensité dramatique…
Alors qu’il se trouve rue Reisnerstraße et qu’il repense à l’accident qui a failli se produire, Oskar Serti décide de ne plus se promener en ville qu’accompagné de Catherine de Sélys…

 
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Les gravillons

Le matin du 5 mars 1910, Oskar Serti se promenait seul à Hyde Park, lorsqu’il sentit un gravillon rentrer dans sa chaussure.
Par paresse, il ne s’en débarrassa pas immédiatement, et ce n’est qu’après avoir marché cinq minutes en sa compagnie, lorsque sa présence devint vraiment insupportable, qu’il retira enfin sa chaussure. Lorsqu’il inspecta sa plante de pied pour savoir si elle n’avait pas trop souffert de l’aventure, il découvrit avec étonnement que l’empreinte laissée dans la peau par son caillou lui rappelait d’une façon saisissante une tache rouge que portait au coin des lèvres sa regrettée Véronique Coulanges.
Serti fut tellement ému par cette correspondance, qu’en douloureux souvenir de sa chère amie, il décida de replacer le caillou dans sa chaussure pour poursuivre son chemin.
Malheureusement, au cours de sa promenade, il supporta tellement bien la gène provoquée par son gravier, qu’il en oublia peu à peu la présence, et lorsqu’à la suite d’un malencontreux hasard, celui-ci s’échappa de sa chaussure, Serti ne s’en rendit pas compte tout de suite.
Voyant dans cette perte un signe du destin qu’il voulait absolument conjurer, Serti se fit un devoir de tout mettre en oeuvre pour retrouver ce fameux gravier. Il retourna sur le lieu présumé de sa perte, et devant la multitude de gravillons qui recouvraient le sentier, remplit une pleine poche de petites pierres dont chacune aurait pu être la sienne.
Ainsi, durant le mois qu’il séjourna encore à Londres, il introduisit une de celles-ci dans sa chaussure avant chaque promenade matinale, avec le secret espoir de retrouver en bout de course la tache au coin des lèvres de Véronique Coulanges.

 
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À l’hôtel Roy

Dans la nuit du 4 au 5 mai 1933, Oskar Serti se réveilla en sursaut, poussé par l’angoisse d’être soudain devenu aveugle. Il alluma immédiatement sa lampe de chevet, mais dans sa précipitation, se heurta si violemment la tête contre cette table de nuit, qu’il considéra sa vision enfin retrouvée comme une simple émanation de son choc.

 
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À l’hôtel Continental

Le 17 février 1921, Oskar Serti regardait dans le vide, accoudé à la fenêtre, lorsqu’il aperçut en face de lui un corbeau posé sur le rebord du balcon. Il eut alors l’étrange impression, sans doute à cause de la vitre qui les séparait, d’avoir sa propre image sous les yeux. Soudain, l’animal tourna la tête de côté, comme le font les oiseaux pour mieux fixer leurs interlocuteurs, et dans une sorte de mimétisme inconscient, Serti imita son mouvement. Mais il tomba si brusquement sur le miroir accroché dans le coin de la pièce qu’il se sentit un instant perché sur le balcon, observé par lui-même.

 
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La gare

Le 17 septembre 1914, alors qu’il ne l’avait plus revue depuis des années, Oskar Serti vint au rendez-vous que Catherine de Sélys lui avait fixé en gare de Nantes. Après un regard furtif autour de lui, il la découvrit au fond de la gare en train de parler à un inconnu dont le chapeau et le manteau étaient pratiquement identiques à ceux qu’il avait l’habitude de porter auparavant. Il se dit que Catherine avait dû prendre cet homme pour lui-même et, profondément déçu par cette méprise, décida de reprendre aussitôt le train pour Paris, sans même lui signaler sa présence. Seul dans son compartiment, Serti pensa soudain avec angoisse qu’il n’avait pas vraiment dévisagé la jeune femme parlant à l’inconnu. S’il l’avait prise pour Catherine, c’était uniquement à cause de la petite robe imprimée qu’elle portait si souvent à l’époque où ils vivaient ensemble.

 
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L’autobus

Au printemps 1926, excédée par les bruits parasites — du simple éternuement à la quinte de toux — qui perturbaient chacun de ses concerts, la pianiste Catherine de Sélys interrompit brutalement la tournée qui devait la mener aux quatre coins de France et se cloîtra dans son appartement de la rue du Temple. Des jours entiers, elle y connut le plaisir de se retrouver seule avec son piano. Elle entendait bien parfois ses notes se prolonger en de légères vibrations frémissant à la surface de la fenêtre entr’ouverte du salon ; mais cela ne la contrariait pas. Au contraire, c’était exactement le genre de résonnance qu’elle aurait tant voulu provoquer chez ses auditeurs. Si seulement, plutôt que de se perdre dans leur vacarme égoïste, ils avaient pu, comme sa fenêtre, vibrer discrètement en écho de son jeu et le suspendre un instant au plus profond d’eux-mêmes.
Au moment précis de ces réflexions, un autobus passa avec fracas dans la rue. L’onde de choc se répercuta sur le piano dont les cordes émirent en retour un son d’une richesse infinie. Catherine se sentit défaillir : jamais son propre talent n’avait pu atteindre une telle perfection. Elle pensa aussitôt à ses auditeurs : peut-être l’anarchie apparente de leur vacarme avait-elle finalement bien plus de valeur que son propre jeu ? Ne se sentant plus capable de produire la moindre note, elle ouvrit grand la fenêtre puis s’étendit de tout son long sur le piano avec le seul espoir qu’il lui renvoie les prochains bruits venant de la rue…

 
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Pour mieux approcher la pureté du jeu de Catherine de Sélys, Oskar Serti avait décidé de suivre chacun de ses concerts prévus pour le printemps 1926. La nouvelle de l’interruption inopinée de la tournée et la retraite de Catherine rue du Temple le jetèrent dans un tel désarroi qu’il se résolut à louer une chambre juste en face de chez elle.
Un matin, toujours au lit, Oskar remarqua que la fenêtre entr’ouverte de Catherine reflétait violemment le soleil et, à travers la rue, renvoyait ses rayons sur le plafond décrépit de sa chambre. Chaque note que jetait Catherine sur le clavier semblait se répercuter sur la fenêtre entr’ouverte dont les vibrations faisaient danser les rayons lumineux au dessus de lui. À ce moment précis, un autobus passa dans la rue, soulevant un nuage de poussière qui s’introduisit dans la chambre d’Oskar et vint tournoyer en spirales multicolores dans la lumière irradiée par Catherine. Serti se mit à sautiller dans ces tourbillons enivrants avec l’impression de pénétrer enfin au coeur même de l’univers de Catherine. Malheureusement, la poussière qu’il venait d’avaler en quantité provoqua une salve d’éternuements et une quinte de toux si violentes qu’il se sentit vidé du plus profond de lui-même.
La lumière avait quitté sa chambre : certainement excédée par son vacarme, Catherine avait-elle refermé sa fenêtre. Paralysé de honte, Serti s’allongea sur le sol et attendit que le passage des prochains autobus le recouvre entièrement de poussière.