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Le portrait

Lorsqu’il apprit la disparition inopinée de Véronique Coulanges, Oskar Serti ne put accepter ce coup du sort. Il commanda aussitôt au peintre Pierre Lipart un portrait de Véronique qui lui donnerait l’illusion de l’avoir toujours à ses côtés.
Dès que le portrait lui fut livré, Serti fut bouleversé par le souffle de vie qui s’en dégageait. Il se sentit tellement captivé par l’intensité du regard, l’éclat des lèvres, le satiné de la peau, qu’il craignit de ne plus pouvoir quitter le portrait des yeux. La peur qu’une passion irraisonnée pour le tableau ne vienne étouffer ce sentiment de tendre sérénité que lui avait toujours apporté Véronique, poussa Serti à consulter le journal où, depuis des années, il avait pris l’habitude de consigner les heures passées en sa compagnie. Grâce à un minutieux décompte, il put consacrer chaque jour exactement le même temps au portrait qu’il ne l’avait fait jadis avec Véronique.
Le 7 juin 1912, après des années d’une paisible contemplation quotidienne, Serti eut soudain l’horrible impression de ne plus reconnaître les traits de Véronique dans l’image de la jeune femme. Il venait d’épuiser son capital d’heures et le souvenir de sa bien-aimée avait aussitôt disparu de la surface de la toile.
Serti fit poser un voile sur l’étrangère du tableau ; mais il ne put s’empêcher d’attendre un miracle : que le voile tombe de lui-même et fasse à nouveau apparaître le visage de Véronique. Il aurait pu rester des jours à attendre devant le voile, mais pour ne pas sombrer dans une irrépressible mélancolie, il alla vérifier dans son journal le temps qu’il passait jadis chaque jour à sa fenêtre dans la douce attente que Véronique vienne enfin le rejoindre.

 
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Théodore Brötski

En octobre 1954. lorsqu’il apprit la mort de son ami le peintre dissident Théodore Brötski, Oskar Serti se jura de tout mettre en oeuvre pour honorer son souvenir.
Grâce au réseau de relations qu’il s’était patiemment tissé, Serti parvint à rassembler dans la maison-atelier du défunt les plus hauts responsables des instances culturelles de Budapest, avec le secret espoir de les rallier à sa cause.
Mais lorsqu’il leur proposa d’organiser une exposition des tableaux qu’ils avaient sous les yeux, tous ses invités, effrayés par leur caractère subversif, baissèrent les yeux sans oser dire un mot. C’est alors que le conservateur du Musée des Arts Décoratifs et des Traditions Populaires se dévoua pour briser le silence embarrassé de ses confrères. Par un habile faux-fuyant, il évita le problème épineux des fameux tableaux pour feindre un profond enthousiasme devant les papiers peints qui recouvraient les murs des différentes pièces de la maison.
À la surprise générale, Oskar Serti, beaucoup trop réceptif à la moindre marque d’attention portée à tout ce qui pouvait toucher de près ou de loin l’univers de Théodore Brötski, poussa le conservateur imprudent à présenter dans son musée ces papiers peints, même dénués de leurs trop compromettants tableaux. Serti insista toutefois pour que l’on respecte à sa juste valeur la mémoire des oeuvres de son ami à travers leur empreinte laissée sur les murs.

 
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Les fourmis

En mars 1919, alors qu’il se promenait dans la forêt de Fontainebleau, Oskar Serti reconnut l’arbre qui avait servi de modèle au peintre Pierre Lipart pour son célèbre tableau intitulé La sieste. La perspective de faire partie intégrante d’un tableau poussa Serti à venir s’allonger au pied de l’arbre dans la même position que le personnage qui y était représenté.
Mais après quelques minutes, il se sentit envahi par une colonne de fourmis. Il se rendit alors compte que ce qu’il avait toujours pris pour une craquelure dans le bas de la toile, représentait en fait le passage des insectes sur les jambes du personnage. Préférant ne pas prendre le risque de vérifier l’origine des autres craquelures qui recouvraient le personnage, Serti se leva en catastrophe et poursuivit son chemin.

 
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Le rapport Serti

Lors de la rénovation du Musée des Beaux-Arts de La Haye, il fut demandé à Oskar Serti d’évaluer les risques de dégradations susceptibles de mettre en danger les oeuvres les plus significatives. On l’invita également, dans le pire des cas où un processus de vieillissement serait entamé pour certaines d’entre elles, à en déterminer les causes exactes. Malgré son grand âge, Oskar Serti s’attela à cette tâche, et un an plus tard, il remit son rapport sur la question.

 
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Certaines toiles, par le contexte particulièrement théorique qui les entoure, provoquent chez leurs spectateurs, plus de commentaires qu’à l’accoutumée ; elles s’exposent ainsi à de graves altérations dues au taux anormalement élevé de CO2 dégagé devant elles par chaque visiteur.

 
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Certains insectes, comme les Sirtonis, ont le sentiment de se camoufler en mangeant une partie de la surface sur laquelle ils sont posés. Lorsque l’on parvient à les déceler sur une peinture, il suffit de les écraser dessus pour remettre les couleurs en place.

 
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Certains artistes, tellement dandys, se parfument si généreusement qu’il arrive aux couleurs les plus sensibles de leurs tableaux, affectés par le trop constante proximité de ces effluves, de produire en réaction de petites émulsions blanchâtres.

 
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Certaines couleurs spécialement chaudes, lorsqu’elles sont appliquées sur une toile d’un lin trop végétal peuvent raviver celui-ci au point de lui faire développer de jeunes pousses capables de percer la croûte de peinture.

 
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Certains peintres virtuoses donnent une telle impulsion à leur pinceau que celui-ci peut en perdre ses poils. Fixés sur la toile dans une position courbe, contre nature, ces poils ont, avec le temps, tendance à se redresser.
L’opération, qui peut durer jusqu’à trente ans, entraîne généralement de légères craquelures à la surface du tableau.

 
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Certaines oeuvres, à cause de leur verre de protection, présentent de tels reflets que toute personne qui veut les regarder en face croit les avoir déjà vues.

 
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Lors de sa parution, le rapport Serti fit tant de bruit qu’une contre-expertise fut aussitôt exigée. Découvrant avec soulagement l’excellent état de conservation des oeuvres étudiées, elle aboutit à la conclusion suivante : à force de regarder la même image durant tout un mois, les taches et autres parasites qu’Oskar Serti croyait voir à la surface des oeuvres, et dont il voulait absolument expliquer la présence, se trouvaient en réalité à l’intérieur de son oeil beaucoup trop éprouvé par une telle observation.

 
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La tache

Au printemps 1942, le bâtiment dans lequel nous nous trouvons fut abandonné. Nous en avions profité, quelques amis et moi, pour nous réunir à cet endroit chaque semaine et y lire nos textes respectifs. Ces réunions m’étaient d’un grand réconfort, car je venais juste, à cette époque, de quitter Madeleine Ivernol (vous vous rappelez certainement d’elle car elle connut en son temps une certaine gloire comme peintre de nature morte) et, pour tout vous dire, cette rupture n’allait pas sans mal. Un jour, au cours d’une de ces réunions, j’étais perdu dans mes pensées et, alors que mon regard flottait sur le mur, je tombai par hasard sur une tache d’humidité qui commençait à naître près du plafond. Je fus d’abord un peu consterné de voir que des altérations dues au ravage du temps puissent déjà se manifester dans un lieu qui comptait tant pour moi ; puis je me familiarisai peu à peu avec cette tache dans laquelle je commençais à voir des images particulièrement évocatrices. Ces visions étaient si présentes que je ne savais plus si elles étaient produites par la tache ou si elles n’étaient que pure projection de ma part. En tout cas, je parvenais à y discerner clairement un pull-over, qui me rappelait tout à fait celui que Madeleine m’avait tricoté au début de notre liaison. Une semaine plus tard, revenant ici comme j’en avais pris l’habitude, je constatai que la tache de moisissure s’était étendue. Je pus très facilement y retrouver la forme de mon pull, puis, greffé dans son encolure, j’y vis un cheval, un long cheval gris, le même qui nous avait autrefois promenés, Madeleine et moi, sur les bords de la Vistule. Ainsi, de semaine en semaine, mes souvenirs remontaient à la surface, ils se mêlaient et enflaient au même rythme que les images contenues dans cette tache en croissance continuelle. Un jour, pour la première fois, le visage de Madeleine m’apparut dans la tache et il le fit avec une telle précision que je crus devenir fou. C’en était trop. Je ne pouvais plus supporter cette tache qui se dressait au dessus de moi comme un reproche permanent. Juste après le départ de mes amis, je m’élançais vers elle pour l’effacer du revers de ma manche. C’est alors que je découvris, à ma grande stupéfaction, que ce n’était pas une tache de moisissure mais une peinture. Quelqu’un avait peint cette tache en trompe-l’oeil à la façon d’une moisissure ; quelqu’un était venu ici chaque semaine en catimini.Une partie de la peinture était encore fraîche et je me rendis compte que j’avais effacé le visage de Madeleine en passant mon bras dessus. De la couleur s’était étalée sur la manche de mon pull ; celui-là même que Madeleine m’avait tricoté.

Extrait d’un entretien radiophonique avec Oskar Serti peu avant sa mort.

 
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Le tableau

En I924, je venais d’arriver à Paris et ne connaissais pratiquement personne. Mais je voulais absolument, pour la suite de ma carrière, fréquenter ses cercles littéraires et culturels. C’est ainsi que je fus de tous les vernissages d’exposition, cocktails, signatures et autres manifestations. Je pris donc tout naturellement l’habitude de venir à la galerie Durand-Ruel lors de soirées littéraires ou de petites expositions de peintures symbolistes. Mais, par timidité ou par complexe peut-être, je ne parvins à entrer en contact avec personne. Chaque fois que je venais à la galerie, je me plantais toujours à la même place, le dos appuyé contre le mur. Je ne prêtais jamais attention aux expositions présentées, trop occupé à savoir qui était qui, et surtout à ne pas paraître trop ridicule de rester désespérément seul. Je me souviens parfaitement d’un vernissage. Je m’étais comme d’habitude réfugié à ma place, lorsque je sentis dans mon dos la présence d’un tableau qui devait être beaucoup plus grand que ceux exposés normalement puisqu’il empiétait sur mon territoire. Mais malgré cette intrusion, je me savais incapable de changer de place. J’étais retranché dans mon coin comme s’il m’assurait une protection envers tous ces gens qui se refusaient à me prendre en considération. Discrètement, je pliai un bras derrière moi pour repérer le coin de toile contre laquelle j’étais appuyé. Je découvris cette toile flasque en son milieu, puis parfaitement tendue au bord de son châssis. J’avais étendu ma main à plat sur la surface peinte qui me parut d’une température étonnamment fraîche. Puis je sentis que derrière la toile se maintenait une certaine chaleur. Cette sensation devait être provoquée par le manque de circulation d’air entre la toile et le mur qu’elle recouvrait. Je prenais évidemment bien garde que personne ne remarquât l’intérêt particulier que je portais à cette toile, mais je me sentis irrésistiblement attiré par la chaleur qu’elle contenait. Derrière mon dos, ma main caressait la toile, elle voyageait sans cesse du flasque central à la tension des bords, comme si elle cherchait à pénétrer cet espace de chaleur. Soudain, un de mes doigts s’arrêta au bord du châssis, d’un ongle je grattai la croûte de peinture, puis, d’un coup sec, je forçai la toile. Aussitôt, je réalisai ce que je venais de faire : je venais de déchirer une peinture que je n’avais même pas regardée. Il fallait absolument que je fasse quelque chose, que je répare ma faute. Cela me donna, pour la première fois au cours d’un vernissage, la force de quitter mon mur. Je me dirigeai vers le peintre, que j’avais facilement identifié, et lui avouai que je venais de tomber amoureux de la toile qui était derrière moi et qu’il fallait que je l’achète. Je lui laissai mon adresse pour qu’on me la livre à domicile. Comme convenu un mois plus tard, on m’apporta ma toile précautionneusement emballée dans une caisse en bois ; mais je ne peux toujours pas vous dire à quoi elle ressemble car je n’ai pas encore eu le courage de la déballer.

Extrait d’un entretien radiophonique avec Oskar Serti peu avant sa mort.

 
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La platitude

En décembre 1922, une exposition du peintre Pierre Lipart fut inaugurée à la galerie du Jeu de Paume en présence de Catherine de Sélys.
La semaine suivante, les actualités cinématographiques ne manquèrent pas de célébrer l’événement en inondant leurs reportages de prises de vues de Catherine de Sélys. Aussitôt, d’éminents responsables culturels s’indignèrent de voir que dans leur présentation de l’exposition, aucun de ces reportages n’avait reproduit une seule oeuvre de Lipart, comme si le goût du sensationnel l’avait emporté sur l’amour de l’art. Oskar Serti, fervent admirateur de Catherine de Sélys, réagit brutalement à ces critiques. Profitant d’une rubrique qu’il tenait dans l’Aurore, Serti fit remarquer que Catherine transcendait instantanément tout ce qui la faisait vibrer, et qu’il ne voyait aucune différence entre son merveilleux visage imprégné d’une peinture de Lipart ou une peinture de Lipart elle-même. Emporté par sa ferveur, Serti alla même jusqu’à se prétendre capable, à partir de n’importe quel film de Catherine de Sélys pris au cours du vernissage, de retrouver avec précision quelle oeuvre de Lipart éclairait son visage.
Oskar Serti reçut alors un billet de Catherine le suppliant de ne pas donner suite à son généreux pari. Votre article m’a profondément touchée, lui écrivit-elle, mais au risque de vous décevoir, je dois vous avouer n’avoir jamais, au cours de ce vernissage, jeté un regard sur une oeuvre de ce Lipart. Ne persistez pas à vous faire une trop haute opinion de moi-même.
Serti ne fut pas trop surpris de l’aveu de Catherine de Sélys. Une artiste qui avait côtoyé les plus grands créateurs, qui avait donné à leurs oeuvres des reflets jusqu’alors insoupçonnés, n’avait, bien entendu, plus besoin de regarder une oeuvre en face pour la connaître intimement. Catherine possédait ce don rarissime de la révélation, mais elle ne s’en rendait pas compte ; elle pensait passer à côté des choses, alors qu’en réalité les choses se réfléchissaient naturellement en elle comme dans un merveilleux miroir.
Lorsqu’il eut enfin la chance de se retrouver en face d’elle, Serti ne put s’empêcher de lui faire une cour effrénée ; mais il lui trouva soudain une expression tellement insignifiante qu’il se demanda si elle ne reflétait pas tout simplement la platitude des propos enflammés qu’il venait de lui tenir.

 
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La galerie de peinture

Oskar Serti et Catherine de Sélys marchaient dans la rue quand, surpris par un violent orage, ils se précipitèrent dans le premier bâtiment venu pour se mettre à l’abri de la pluie et du vent. Malheureusement, lorsqu’ils se rendirent compte de leur irruption dans un musée, tous deux se sentirent profondément troublés par cette situation inopinée. Ils songèrent en effet aussitôt à leur maître à penser, le peintre Pierre Lipart, qui était mort six mois plus tôt sans jamais être parvenu à exposer la moindre toile. Depuis cette navrante disparition, l’un et l’autre n’avaient plus jamais remis les pieds dans un lieu d’exposition, nourrissant une profonde rancoeur contre toutes les oeuvres qui, à leurs yeux, prenaient la place de celles de Lipart.
Mais comme la pluie redoublait d’intensité, ils entrèrent dans les salles pour y découvrir les toiles qui y étaient exposées.

 
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Dès qu’il s’arrêta ici, Serti ressentit un élancement aigu au sommet du crâne ;
mais il ne s’en étonna pas trop, tant ses appréhensions de revoir une peinture étaient grandes.
Cette douleur se reproduisit à intervalles réguliers, puis s’ensuivit une cadence de plus en plus infernale qui lui donna l’impression d’avoir le crâne perforé.
Petit à petit, sous l’effet de ce martèlement, les images contenues dans les toiles s’inscrivirent avec insistance au plus profond de lui-même. Elles prirent une perspective, une transparence, une coloration tellement hallucinantes, qu’en comparaison, même les oeuvres de Lipart lui parurent bien pâles.

 
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Serti ressentit le même martèlement à cette place. En posant la main à l’endroit de la douleur, il découvrit son crâne détrempé et comprit aussitôt l’origine de cette névralgie si troublante : l’orage avait provoqué des infiltrations d’eau qui, goutte-à-goutte, du haut de la verrière, lui tombait inlassablement sur la tête.
Espérant poursuivre la visite de l’exposition avec la même acuité, Serti décida de rester encore un instant à sa place, afin de profiter pleinement de l’état de choc que les gouttes provoquaient en lui.

 
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Catherine de Sélys vint ici pour jeter un regard furtif sur l’exposition. Mais contrairement à ce qu’elle s’imaginait, elle se sentit attirée par les toiles qu’elle regardait. Après un temps, elle fut même surprise d’éprouver en leur présence un sentiment proche de la sérénité, qui parvint à gommer d’un trait le douloureux souvenir de Pierre Lipart.
Catherine comprit alors que, pour la première fois depuis la disparition de Lipart, elle découvrait une exposition sans être gavée de ses inévitables commentaires, et ce constat, loin d’être un regret, lui faisait enfin prendre conscience — après des années d’admiration béate — de la futilité de ces bavardages, en regard des merveilleux silences d’Oskar.

 
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Lorsqu’il poursuivit sa visite, Oskar Serti aperçut au fond de la salle une petite flaque d’eau qui trahissait une autre fuite dans la verrière. Il eut aussitôt l’idée d’y emmener Catherine à son insu, et de la soumettre, elle aussi, à l’épreuve de la goutte. Serti se rendit compte avec fébrilité que, si jamais il parvenait à lui faire partager les intenses émotions picturales qu’il venait de vivre, il tenait là une formidable occasion de se prouver que Pierre Lipart — dont les prétentions intellectuelles l’avaient finalement toujours un peu agacé — n’était pas le seul dépositaire de l’initiation artistique de Catherine.

 
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Alors qu’elle traversait la salle, Catherine de Sélys découvrit soudain le visage inondé d’Oskar. Imaginant le pauvre sous le coup d’une trop forte émotion, elle supposa qu’il n’était pas encore rétabli de la mort de Pierre Lipart, et l’état dans lequel elle le trouva la remit brutalement en question.
Oserais-je jamais, pensa-t-elle, lui avouer cette impression de soulagement que je viens de connaître envers la disparition de Lipart ?
Oskar ne risque-t-il pas d’être déçu par mon attitude et de s’éloigner de moi ?
Catherine se sentit plonger dans le plus complet désarroi.

 
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Dès qu’elle se retrouva à cette place, Catherine de Sélys vit son chemisier se couvrir de petites taches de la même couleur brunâtre qu’employait Lipart pour la plupart de ses compositions. Catherine se doutait bien que ces taches provenaient des gouttes d’eau qui, sous la violence de l’orage, tombaient de la charpente rouillée de la verrière. Mais elle ne pouvait pourtant s’empêcher de voir dans ce phénomène le signe d’une vengeance posthume de Lipart qui, vexé d’être renié, se serait amusé à la barbouiller comme un de ses tableaux.
N’osant confesser son trouble à Oskar, Catherine tenta d’oublier ses idées noires dans les toiles qu’elle avait sous les yeux. Elle les regarda avec une telle intensité, qu’elle parvint à trouver dans leur présence un certain réconfort qui lui donna l’envie de découvrir les autres toiles de l’exposition.

 
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Lorsqu’il s’arrêta ici, Serti remarqua à sa grande déception que les gouttes d’eau qu’il souhaitait voir s’égrener sur la tête de Catherine, manquaient leur cible et s’écrasaient lamentablement sur son chemisier. Mais lorsqu’il constata que malgré l’absence de choc sur le crâne, Catherine parvenait à frémir devant les toiles, Serti se remit sérieusement en question. Comment Catherine peut-elle à succomber à la magie d’un tableau sans l’aide de personne ?
Quel intérêt peut-elle encore trouver à Lipart, puisqu’elle n’a pas besoin de lui pour goûter à la beauté des choses ?
Ayant définitivement abandonné l’espoir de se substituer à Lipart, Serti se sentit plonger dans le désarroi le plus complet.

 
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Lorsqu’il s’adossa contre la cimaise qui se trouvait autrefois ici, et même s’il ne s’estimait plus capable d’apporter quoi que ce fût à Catherine, Serti voulut mettre tout en oeuvre pour garder l’espoir qu’elle pût encore lui témoigner un minimum de considération : il se colla contre le mur à la suite des toiles exposées, et retint profondément son souffle afin d’être le plus plat possible.
Serti pensait donner ainsi à Catherine, ne fût-ce-qu’une fraction de seconde, l’occasion de le regarder comme un de ces tableaux de l’exposition qui avaient éveillé en elle tant d’émotions.