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La Vénus

Le 5 mai 1907, Oskar Serti conçut une Vénus en pierre dont les formes devaient être exclusivement taillées par le seule force de jets d’eau savamment canalisés.
Mais lorsqu’à l’inauguration du 2 juin 1910, on coupa les eaux pour découvrir la déesse surgissant des flots, les officiels la jugèrent tellement impudique qu’ils décidèrent de rouvrir les eaux jusqu’à ce qu’elle recouvre un aspect plus décent.

 
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Le socle

Le 27 janvier 1910, au Musée Impérial de Budapest, Oskar Serti regardait par hasard sa main droite négligemment déposée sur un socle vide, lorsqu’il ressentit la singulière impression qu’elle ne lui appartenait plus. Heureusement, ce sentiment disparut aussitôt qu’un gardien remit un buste de marbre si machinalement à sa place qu’il ne vit pas les cinq doigts d’un visiteur perdu dans ses pensées.

 
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La Vénus Timsi

En avril 1929, j’entrepris un voyage tellement éprouvant au coeur de l’Afrique, que ma fiancée Véronique Coulanges, qui m’avait accompagné jusque-là, décida de rentrer chez elle sans même me prévenir. Je poursuivis malgré tout mon équipée, car je voulais absolument trouver une Vénus Timsi, considérée comme une des sculptures les plus typiques du Bas-Congo. Par chance, j’en découvris un exemplaire admirable, en bois polychrome de plus d’un mètre cinquante. De retour à Paris, j’organisai une petite fête chez moi pour la montrer à mes amis et aux nombreux spécialistes de la question africaine que je connaissais bien. J’avais accroché ma Vénus au mur, au bout d’un long clou, comme il était d’usage de le faire dans sa tribu d’origine. Mais cinq minutes avant que les premiers invités ne commencent à venir, je vois ma Vénus bouger légèrement. Intrigué par ce phénomène, je m’approche d’elle, et découvre l’origine d’un drame : le clou qui la retenait au mur était à bout de souffle, si je puis m’exprimer ainsi. Je ne voyais aucune solution à ce problème, car en deux minutes, il m’était impossible de trouver un autre système d’attache. Ma Vénus tenait toujours bon, mais je sentais pourtant que des vibrations un peu trop fortes pourraient la faire tomber. C’est alors que, pour empêcher que des mouvements trop brusques de la part des invités — ou même leurs bruits — ne provoquent une catastrophe, j’eus l’idée d’éteindre la lumière (en fixant un sparadrap sur l’interrupteur pour qu’on n’y touche plus) et j’allumai une petite bougie aux pieds de ma Vénus. Ainsi, je créai une ambiance pour ainsi dire sacrée qui inciterait au recueillement et empêcherait les débordements coutumiers de certains cocktails. Tout se passa parfaitement. Ma Vénus tenait bon, de plus, elle était merveilleusement et délicatement animée par les frêles mouvements de la flamme. Dans un silence quasiment religieux, je signalai à chacun des invités qu’ils pouvaient se retrouver pour parler dans l’autre pièce, où un buffet se tenait à leur disposition. Au bout d’un moment d’ailleurs, j’allai y retrouver un ami, puis aussitôt après notre rencontre, je revins dans la salle de ma Vénus, pour m’assurer que tout se déroulait normalement. Mais le fait de passer d’une pièce très éclairée à une autre pratiquement obscure, uniquement éclairée par une flamme minuscule, fit que durant quelques secondes, je me retrouvai dans un noir presque total. Et ce fut juste à ce moment-là que je sentis quelque chose bouger derrière moi. Je songeai tout de suite à ma fragile Vénus, et, par réflexe et dans la panique, je la collai de toutes mes forces contre le mur. Mais je commençais à m’habituer un peu à la lumière et je m’aperçus rapidement que ce que je venais de plaquer au mur n’était pas ma Vénus mais bien Véroniques Coulanges.
Par chance, la Vénus tenait toujours miraculeusement à son clou. J’eus juste le temps, avant que Véronique ne pousse un cri de stupeur devant la violence de notre rencontre, j’eus juste le temps de lui mettre la main sur la bouche. La revoir ainsi ; d’une façon si brutale ; rendez-vous compte, je l’avais littéralement plaquée au mur, nous étions collés l’un à l’autre. J’étais bouleversé de la revoir ; mais j’avais peur de retirer ma main et que, par ses cris, elle ne mette en danger ma Vénus déjà tellement éprouvée. Dans l’ivresse du moment, et espérant sauver deux situations périlleuses, je retirai ma main pour l’embrasser aussitôt si passionnément que je l’empêchais d’émettre le moindre son. J’aurais pu rester indéfiniment dans cet état pour que rien ne bouge plus. C’est précisément à ce moment que Véronique décida d’enlever le sparadrap et tourner le bouton de l’interrupteur qui était juste derrière son dos et auquel elle était fébrilement accrochée comme ma Vénus à son clou ; oui, elle décida de tourner l’interrupteur pour montrer au grand jour, et au mépris de tout ce qui pourrait arriver, avec qui j’avais choisi de vivre.

Extrait d’un entretien radiophonique avec Oskar Serti peu avant sa mort.

 
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Les photos Timsi

En septembre 1917, Oskar Serti, alors rédacteur en chef de La Revue Cubiste des Deux Mondes, décida de partir à la recherche de son collaborateur, le photographe Henri Colombier, mystérieusement disparu depuis plus de cinq mois au cours d’un reportage au Congo. Serti parvint à suivre la trace de son passage jusqu’à Timsi, un petit village katangais nouvellement décoré d’une multitude de fines sculptures plates totalement inconnues de lui. Par gestes et petits dessins, il réussit à communiquer avec les habitants et crut comprendre le sort réservé à son ami.
Lorsque, trois mois auparavant, Colombier débarqua à Timsi, abattu par de violentes crises de paludisme, il sentit la fin si proche qu’il voulut, avant de mourir, achever ce qui serait son dernier reportage. Il parvint, grâce au matériel sophistiqué qu’il avait emmené, à développer lui-même les photographies prises lors de son périple ; mais malheureusement, la chimie de ses produits avait tellement souffert de la chaleur ambiante que ses photos se couvrirent d’un sépia opaque quelques secondes après leur impression.
Les quelques villageois qui avaient assisté médusés à cette séance, interprétèrent les fièvres qui emportèrent peu après Colombier comme la conséquence logique d’une magie inconsidérée. Tous gardèrent cependant en mémoire la fragile beauté de ces images qui ne leur apparurent qu’un instant et, pour multiplier l’espoir de les revoir à nouveau, réalisèrent de nombreuses reproductions artisanales en cuivre d’après les véritables papiers photographiques qui, malgré leur absence d’image, étaient religieusement conservés dans la hutte où Colombier les avait abandonnées.
Les générations suivantes de Timsi adoptèrent cette coutume et fabriquèrent à leur tour des copies en tenant compte du gondolage des papiers photographiques originaux qu’ils ne cessèrent jamais d’honorer.

 
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La taille du marbre

Au terme d’une étude consacrée à la Taille du Marbre en Île-de-France, Oskar Serti se rendit le 3 octobre 1921, dans l’atelier de sculpture de l’école des Beaux-Arts de Paris. Pour ne pas déranger les élèves au travail, il s’installa sur le petit balcon qui surplombait d’une dizaine de mètres l’atelier principal et lui offrait ainsi une parfaite vue d’ensemble.
Il découvrit alors, parmi les blocs que taillaient les étudiants, un buste dont les lignes — pourtant à peine esquissées — réveillaient en lui l’image vibrante de Catherine de Sélys. Serti se sentit tellement bouleversé par cette ébauche qu’il dut se cramponner à cette balustrade pour éviter la chute. Depuis des mois, il rêvait d’écrire à Catherine une lettre lui révélant la véritable nature de ses sentiments, et voici qu’enfin — par la seule présence de ce buste — lui venaient à l’esprit les mots justes. Il s’empara aussitôt de son carnet pour les y noter le plus rapidement possible. La ressemblance avec Catherine était en effet purement fortuite, et d’un instant à l’autre, elle disparaîtrait sous les coups de burins chargés de rendre les traits potelés du modèle installé au centre de l’atelier.
Malheureusement, Serti ouvrit son stylo si brusquement que toute l’encre s’en échappa avant même que le moindre mot ne fût écrit. La déception l’empêcha d’apercevoir, dix mètres plus bas, l’état de grâce dans lequel se trouvait un apprenti sculpteur : alors qu’il venait d’entailler le marbre à hauteur d’une petite veine, celui-ci vit soudain couler de l’incision une longue traînée bleue qui lui ôta toute envie de donner d’autres coups dans la pierre.