livreHongrois03

 

Chansons hongroises
livre d’artiste
fermé : 35,5 x 49,5 cm
déployé  : approximativement 20 m
leperello 60 pages d’illustrations couleur
couverture cartonnée et toilée
2010

 
 

ABC

Dans un vieux camion à déménager,
Un piano voit ses cordes s'agiter
Au gré de la route rapiécée.
« Joue, joue encore,
Dit par un petit trou de mite
La couverture chargée de le protéger.
À la fin du voyage, moi on me rangera
Dans une caisse de bois,
Et pour passer le temps,
Je garderai au creux de mes plis
Tes trois notes désaccordées.
Pense à moi, bienheureux,
Quand à la fin du voyage, on t'ouvrira
Et que sur une scène illuminée,tu revivras. »
« Ne crois pas cela, dit le piano.
C'est maintenant que je vis,
Maintenant que je sens la route
Vibrer dans mes veines entières.
Je sens le pont qui passe la rivière,
Je sens le gel qui soulève les pavés.
Au premier tournant, tout peut arriver,
Il n'y a rien d'écrit, rien de redit.
Mon accord, c'est maintenant que je le vis
Garde-le bien dans tes plis. »

ABC-BAS-COULEUR

ABC-D1

ABC-HAUT-COULEUR

 
 

DEF

À l’ombre d’un saule désenchanté,
Une goutte de sang vient de perler
Sur la plus fine corde d’une harpe.
« Ne t’en veux pas petite corde,
Dit la goutte de sang,
Celle qui pleurote maintenant
Celle qui suçote son pouce endolori
Ce n’est pas toi qui l’as coupée.
C’est moi qui ai voulu sortir
De ses doigts agités.
Celle qui gigote
Au bord de la rivière
Ne fait que passer sur toi.
Ses mains glissent au gré de ses humeurs.
Tout à l’heure, elle rira et te reprendra.
Tu vaux mieux que cela. Oublie-la.
Vois comment moi, je m’arrête sur toi.
Vois comment je me fixe en toi.
Sache qu’à l’instant où je me figerai pour toujours,
Je te pincerai légèrement.
Et la petite note que tu me donneras
Me suffira éternellement. »

DEF-HAUT-COULEUR

DEF-D1

DEF-BAS-COULEUR

 
 

GHI

Emporté par les flots cadencés de la rivière,
Un violon renégat échoue
Sur une berge isolée,
Au pied d'un archet brisé en forme de croix.
« Je ne suis qu'une prison de bois,
Dit le violon,
Une prison aux deux si fines ouvertures,
Que je ne pouvais même pas voir
les quatre barres d'acier
que tu feignais de limer,
Pour me rendre la liberté. »
« Je ne suis qu'une maigre tige,
Répond l'archet,
Une tige aux trois fils échevelés,
J'ai passé ma vie fluette à t'arpenter,
J'ai passé ma vie muette
A te faire chanter,
J'ai voyagé sans cesse,
Jusqu'au matin où j'ai pris le temps
de t'écouter,
Mais tu t'es tu,
Mais tu t'es tu... »

GHI-BAS-COULEUR

GHI-D1

GHI-HAUT-COULEUR

 
 

JKL

Dans un coin oublié du grenier
Une contrebasse se réveille horrifiée.
« Non, non, ce n’est pas possible,
Un champignon pousse sur moi.
Je ne suis plus qu’un vulgaire
Morceau de bois. »
« Tu as raison,
Dit le champignon de la mémoire,
Tu n’es qu’un morceau de bois
Qui autrefois poussait
Au bord de la rivière. »
« Mais qu’elle était cette rivière?
Demande la contrebasse,
Je ne me souviens même pas de son nom »
« Elle n’avait pas de nom
Dit le champignon de l’oubli,
C’est à toi de lui en trouver un. »
« Je n’ai pas d’imagination
Dit la contrebasse.
Je veux juste rester une contrebasse. »
« Je te comprends,
Dis le champignon du pardon.
Je suis là pour te comprendre… »

JKL-HAUT-COULEUR

JKL-D1

JKL-BAS-COULEUR

 
 

MNO

Bien serré dans l’étau
D’un atelier de luthier,
Un violon à peine formé, à peine collé,
Disait avec la tendresse des nouveaux nés
« O mon étau, ne relâche pas ton étreinte,
Dis-moi que jamais te ne m’abandonneras. »
Mais l’étau ne répondait pas.
« Je t’en prie, pleurait le violon, dis le moi. »

« Dis-le moi, dis-le moi ».
« Je ne peux pas te le dire,
Finit par dire l’étau,
Car, dès que j’ouvre la bouche,
Je perds ceux que j’aime. »

MNO-HAUT-COULEUR

MNO-D1

mno-bas-ok

 
 

PQR

Parce qu’ils ne savent pas en jouer,
Des enfants déguisent un violoncelle
En…, en…, en stupide échassier !
La sandale de l’un coincée en haut des cordes:
Voilà le bec.
Le manteau d’un autre jeté sur l’instrument :
Voici le plumage.L’archet s’en va traverser les manches :
Et des ailes maigrelettes s’agitent dans le vide.
Pour que la fête soit complète,
Quelques accords plaqués
Font crier l’oiseau inventé.
« Ne leur en veut pas,
Ce ne sont que des enfants,
Dis le manteau au violoncelle accablé.
C’est comme cela qu’ils apprendront
À te connaître.
Dans mes poches ils ont mis
Des pierres rondes,
Avec elles, ils se racontent le monde. »
Mais déjà, le manteau est remplacé
Par un grand foulard noué.
Des lunettes sur la sandale
Qui devient nez crochu,
Et sous ce masque de sorcière implacable,
Un balai remplace l’archet.
Il va, il vient, bat la mesure d’un air sinistre.
Les enfants se lancent
Dans une danse macabre.
C’est comme cela qu’ils apprendront
À connaître leur destin.

PQR-HAUT-COULEUR

PQR-D1

PQR-BAS-NEW-COULEUR

 
 

STU

Un verre d’eau prêt à déborder
Ondule au son d’un vibraphone
« Instrument de la tentation,
dit l’eau frémissante
Tu me mets dans tous mes états,
Cesse de m’ensorceler,
Jamais tu ne remplaceras
Le chant de la rivière »
« Je n’y suis pour rien,
dit le vibraphone ;
Ce sont tes gouttes
Qui en tombant sur mes cordes
Eclatent en notes enivrantes.
Mais ne crains rien,
Cette musique qui te trouble tant
Ne va plus t’agiter longtemps,
Car à force d’émotion,
Tu vas bientôt t’assécher.

STU-HAUT-COULEUR

STU-D2

STU-BAS-COULEUR

 
 

VWX

Pour avoir chanté trop de malheurs
Un accordéon de guinguette au bord de l’eau
Se recroqueville sous les sifflets moqueurs.
Pour avoir bu trop de liqueurs
Le fier accordéoniste à l’alcool triste
Jette à la rivière l’innocent instrument.
« Quel est donc ce nouvel individu ? »
Se demandent au fond de l’eau
Les poissons étonnés de l’intrus.
Dans un dernier souffle
L’accordéon cherche un accord majeur
Pour dire son nom en profondeur.
Mais seule une petite bulle
S’échappe de ses ventricules
Et remonte muette à la surface des flots.
Bulle, bulle, petite bulle
Pourquoi restes-tu fermée sur toi-même
Pourquoi n’éclates-tu pas dans le paysage ?
« Pas question, dit la bulle dans la brume,
Le nom que je porte en moi
N’a pas encore fini de m’enchanter »

VWX-BAS-COULEUR

VWX-D1

VWX-HAUT-COULEUR

 
 

YZ

Pieds nus et pantalon du matin
Roulé jusqu’aux genoux,
Un joueur de flûte traverse la rivière
En imaginant la complainte d’une pierre :
« Ô ma rivière, dit la pierre
Emporte-moi dans ton courant
Je roulerai toujours à tes côtés.
Quand dans la haute mer
Tu te seras perdue
Tu pourras toujours chanter,
Car même si je ne serai plus
Qu’un minuscule grain de sable
Je pourrai toujours t’écouter. »
Pieds noirs et écharpe du soir
Nouée autour du cou
Le joueur de flûte repasse la rivière
Mais au beau milieu, tombe dans un trou.
« Ô ma pierre, dit le joueur à genoux
Ainsi donc tu es partie
Rejoindre la grande mer
Où le monde entier se dissout »

YZ-HAUT-COULEUR

YZ-D2

YZ-BAS-COULEUR

 
 

123

Au rythme de la musique,
De joyeux escargots funambules
S’entraînent sur les cordes d’une guitare
Abandonnée au bord de la rivière.
Au bord de la rivière, abandonné
Par sa renarde, un renard passe par là.
« Oh, un boulier compteur, se dit-il
En faisant glisser les escargots sur leurs cordes,
Je vais pouvoir compter mes larmes
Au rythme de la musique. »
Au rythme de la musique,
Accourent au bord de la rivière
Les chiens perdus, les chats de la mi-août,
Ils chantent, ils dansent, ils rient, ils pleurent.
« Mes amis musiciens, dit la guitare,
Vous êtes des amis très heureux,
Très malheureux,
Mais vous n’êtes pas dans le rythme.
Écoutez…
Écoutez la rivière…
Écoutez comme elle emporte
Les battements de vos cœurs… »

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